ESQUICHO-COUDO : L’HISTOIRE

Par Henry Lombard, homme de rugby et de cœur, et poète à ses heures:

Les touristes avaient déjà déserté nos plages, le soleil se faisait un peu moins ardent et ses rayons se posaient comme une caresse sur nos peaux bronzées, la lumière du matin avait cette clarté particulière qui annonce que l’été tire à sa fin mais que le froid est encore loin.

En ce début septembre 1989, nous approchions tranquillement de l’équinoxe, synonyme de début des vendanges et du coup d’envoi d’une nouvelle saison de rugby.
Cette année-là pourtant, la joie qui préside aux retrouvailles des vestiaires n’illuminait pas nos cœurs de vieux adolescents : c’était fini ! Nous étions quelques-uns à avoir mis fin à notre « carrière » de joueur. Nous n’en avions pas vraiment pris conscience lorsqu’au printemps nous avions quitté pour la dernière fois le vestiaire, après une ultime rencontre, notre sac sur l’épaule, comme d’habitude, avant d’aller vider quelques demis avec les copains.
Mais là, il fallait se rendre à l’évidence : les jeunes avaient repris l’entrainement sans nous, et ils n’imaginaient même pas, « ces petits cons », que l’équipe pourrait se trouver affaiblie par notre absence. L’absence, c’est nous, « jeunes retraités », qui allions en faire l’amère expérience en ces premiers dimanches de septembre : « que va-t-on bien pouvoir faire cet après-midi ? ». La réponse paraissait évidente : aller voir le match de rugby. Mais quand, pendant plus de 20 ans, on a passé ses dimanches sur le pré, il est très dur de regarder le match depuis les tribunes !
Imaginez un type accro au chocolat à qui l’on demanderait d’observer pendant 80 minutes une tablette de chocolat noir sans y toucher, en restant stoïque, voire même en faisant force commentaires sur la régularité des carreaux ou le beau graphisme de l’étiquette.
Non, à l’évidence nous étions (déjà !) en manque, et la seule idée de ne plus se lever pour préparer le sac, de ne plus sentir cette odeur si particulière des vestiaires, faite d’embrocation et de sueur mélangées, de ne plus avoir cette petite (ou grosse) boule à l’estomac au moment de pénétrer sur le terrain, cette seule pensée nous était insupportable.
Et comme souvent les grandes choses naissent d’un refus : c’est le refus de tourner la page, le refus de se dire « plus jamais », le refus de tourner le dos à la belle jeunesse que nous avions vécue, le refus en un mot de vieillir qui allaient être à l’origine de la création des Esquiche-Coudes.
Clin d’œil du destin, c’est sous les crânes prématurément dégarnis (signe habituel de vieillissement) de Jean-Pierre DUPAIN et de Philippe LABRO que l’idée d’un club d’anciens allait prendre forme.
Depuis le début des années 1970, date de création de l’Aix Rugby Club, la passion de l’ovale des aixois pouvait s’assouvir dans deux clubs distincts :
  • L’Aix Université Club, dont la section rugby, qui évoluait en Séries Régionales, perpétuait une tradition festive propre aux clubs universitaires ;
  • L’Aix Rugby Club, dont l’accession à la catégorie Fédérale (en 78 ou 79) affichait la volonté d’un rugby de compétition, sinon encore d’élite, couronné par un titre de Champion de France de Fédérale 3 en 1986 ;
Et comme il se doit, une mâle rivalité opposait joueurs et dirigeants de ces deux clubs !
La grande ambition de DUPAIN et LABRO était de réunir les anciens des deux clubs au sein d’une même organisation, montrant ainsi le caractère œcuménique et fraternel du rugby, et posant les premières pierres d’un rapprochement et d’une collaboration entre les deux clubs (AUC et ARC) qui ne pourrait qu’être bénéfique au rugby aixois.
Nous savons aujourd’hui que cette entreprise a réussi, mais c’est une autre histoire.
Pour revenir aux Esquiche-Coudes, c’est donc par une froide soirée de décembre 1989 que se réunirent à Palette, au coin de la cheminée du restaurant « Le Relais Bleu », les neuf membres qui écrivirent la première page des actes fondateurs de notre cher club.
Neuf membres animés par la passion du rugby et la farouche volonté de faire de ce club naissant non seulement un club d’ancien du rugby, mais surtout un espace de convivialité, d’amitié, de fraternité où chacun trouverait sa place, quel que soit son passé rugbystique. L’exigence n’était pas la performance : il était simplement demandé d’être « un joyeux compagnon ».
Qui étaient donc ces « neufs sages », éduqués dans l’art rugbystique comme l’étaient dans les arts libéraux les neuf muses de la Grèce antique ?
Les voici cités par ordre alphabétique :
  • CAMISULI Tony
  • CHARLIER Jean-Luc
  • DUPAIN Jean-Pierre
  • GIGONZAC François
  • GROSSIN Marc
  • GUILLEBAUD Jean-Luc
  • LABRO Philippe
  • LANNIER Philippe
  • LOMBARD Henry
A noter qu’à l’exception du demi de mêlée Jean-Luc GUILLEBAUD, les huit autres sont des avants ! Comme quoi le rugby commence bien devant.
C’est lors de cette première réunion que fut choisi le nom de notre club, à l’issue d’un long débat au cours duquel les appellations les plus farfelues furent lancées.
« Les Gougnafiers », nom donné dans les années 1970 au club universitaire de la fac de droit, a longtemps tenu la corde, mais il fut jugé pas assez « classieux » au goût de la majorité.
Le choix s’est finalement porté sur Les Esquiches-Coudes pour la triple raison suivante :
  •  À cause des valeurs de solidarité et d’amitié que ce nom évoque (on se serre les coudes)
  •  A cause de la référence à la rue du même nom dans le centre ville d’Aix, ce qui permet d’identifier le club comme étant aixois,
  •  A cause de la particularité physique des membres fondateurs (et de leurs successeurs) qui leur permet d’écraser n’importe quel comptoir du coude tout en vidant des godets jusqu’à une heure avancée de la nuit.
 Philippe LABRO fut ce soir là élu Président à l’unanimité, notre regretté ami Marc GROSSIN élu trésorier, et votre serviteur (Henry LOMBARD) secrétaire.
Les statuts initiaux prévoyaient d’élire un nouveau président chaque année (afin de couper court à toute velléité de Philippe LABRO de s’autoproclamer Président à vie).
C’est Jean-Luc CHARLIER qui succéda à Philippe, puis François GIGONZAC à Jean-Luc. Henry LOMBARD succéda à François. Puis Gérard SILBERMANN fut élu pour succéder à Henry. Marc EXBRAYAT a ensuite succédé à Gérard, avant que Eric MOTTA ne prenne la présidence.
C’est ensuite Marc VILLECROZE qui vint aux affaires. Les Présidents du XX1eme siècle furent Mario GUTTIEREZ, Serge MIOCHE, Pascal CARMINATI et enfin Gérard COMBALAT avant le plébiscite de notre grand guerrier, le vénérable Dominique DUPREZ (alias « Jurassic Man »).
DD sous le règne duquel les Esquiches fêtèrent leur 20 ans transmit le siège à Bernard MALATRAIT, symbole de la vitalité du Club. Rémy AKCHICHE lui succède en 2012 et regroupe toutes les forces du globe pour l’organisation d’un événement majeur: le Tournoi UFAR national 2013… Affaire à suivre.
Il n’est pas anodin toutefois que la création des Esquicho-Coudo (en graphie provençale) ait eu lieu à la saison du solstice d’hiver, au moment où la nuit est vaincue par la lumière et où les jours rallongent, symbolisant pour les anciens la renaissance du vieil homme en un homme nouveau.
L’Esquicho-Coudo, comme Janus aux deux visages, porte la marque du temps sur son visage ridé et son corps un peu plus lourd, et porte aussi en son cœur et en son esprit l’enthousiasme et l’insouciance de l’éternelle jeunesse. L’insouciance de ses 20 ans, qu’il fête cette année.